Il suffit de connaître même vaguement la pièce pour savoir que le sieur de Bergerac, c’est pas du petit personnage qu’on joue entre deux portes. Mais quand on rentre dans le détail dans la pièce, on voit les petites surprises que nous a réservées l’auteur.
La tirade des nez, ce numéro virtuose et gouleyant suivi d’un duel en vers pas piqué des hannetons, est opportunément situé au début de la pièce, histoire d’être sûr de fatiguer tout de suite le comédien… Et, pour finir la pièce, un grand numéro de pourfendage de fantômes frénétique et de bouffées délirantes, le truc parfait pour respirer au bout d’une pièce où on a bien beaucoup causé.
Car ayé, je suis mort. Vendredi, comme je l’ai dit sur Twitter.
Et mes craintes se sont confirmées.
On nous demande parfois[1] : « Mais comment vous faites pour ne pas rire en disant / faisant des choses aussi drôles ». Ce qui n’a pas été, pour moi, un vrai problème depuis bien longtemps. Le personnage est dans la situation, et, aussi drôle soit-elle, elle ne le fait pas rire, lui. Je trouve facilement la distance. Le souci à ce niveau est plutôt l’imprévu sur le plateau, le comédien, moi ou un autre, qui trébuche inopinément sur un mot ou un obstacle imprévisible et peut provoquer la tentation du fou-rire.
Mais cette fois, le jeu va consister à ne pas se faire avaler par l’émotion qui me saisit. Arriver à dire les mots sans qu’ils me fuient par les yeux et que la voix se fragmente en vagissements. Pour la première fois depuis, je crois, 1989[2], j’ai entendu un metteur en scène me dire qu’il fallait que je donne un peu plus de son. Car le volume, à ce moment précis, je n’en avais plus une once. Je luttais avec force pour ne pas me mettre à sangloter, aller au bout de la réplique… Le plus fort, c’est que mes camarades de scène se sont à peine rendus compte de mon niveau lacrymal ! Et il y avait dans leur commentaire quelque chose d’incrédule. Tout le monde, apparemment, ne réagit pas aussi sérieusement que moi à cette histoire-là. À ce fracas que fait dans ma tête la fin de ce personnage. Au vide abyssal que crée cette disparition. Au scandale de cette mort-là[3]…
Va me falloir respirer profondément, je crois, pour dire certains vers, mais je suis déterminé à faire les efforts nécessaires pour que ce soit chouette pour ceux qui nous feront l’amitié de se déplacer ! La pièce, il me semble, le mérite.
1 De Anne -
Oui, cette fin !
Qu’on se scandalise, parfaitement.
Non parce qu’une bête commotion, juste le temps de se croire mourant, que le pot-au-roses soit révélé, et un beau happy end à la place de cette mort, non ? Ca serait un peu moins “c’est trop con…” !
Ceci dit, quel panache.
Et pis.
Ca me touche de t’imaginer à distance à ce point remué… Je me dis qu’on a intérêt à se préparer un peu, nous autres. J’ai idée qu’on va en prendre plein la figure, d’ici pas si long.
2 De François Granger -
Cette fin est à la fois un calvaire (Il a un peu délayé, là, Edmond) et un tel feu d’artifice. J’imagine sans peine l’immersion dans le personnage et le fou-rire par moment.
Je crois que c’est le moment le plus dur pour l’acteur. Il y a plein de choses à dire, mais il ne faut pas non plus faire durer trop longtemps…
3 De Noé -
Anne > le happy end, Cyrano l’exclut avec style
Ce dernier vers est un bon exemple de ceux qui me restent coincés dans la gorge.
Je réalise autre chose ce matin, dans ce qui rend l’exercice délicat, il y a aussi le rythme de l’action. La comédie fonctionne sur la vitesse, on n’a donc pas le temps de « réaliser » à quel point c’est drôle. Ici, au contraire, on prend le temps de détailler, et l’émotion se dépose pernicieusement entre deux respirations ! (c’est taquin ces choses-là :-) )
François > Rappelons qu’il y a tout de même, dans la version que nous allons représenter, des coupes, je ne suis donc pas sûr que l’effet de
se maintienne dans la représentation. Le problème, de mon point de vue, n’est pas la durée en tant que telle, mais plutôt de maintenir la tension sur cette durée, de ne pas se laisser entraîner (c’est tellement facile avec les vers) dans un ronron sans jus. Mais je te rejoins, c’est sans doute le plus difficile à jouer dans cette pièce – en tout cas pour moi.4 De Anne -
Hélas, je sais bien ! (Mais mon côté fleur bleue, tout ça. On a beau jouer les dures…)
Sur ces vers, comme je comprends. Et en même temps, je me dis : c’est justement pareil que c’est comme ça que ça aurait pu. Je veux dire : sa supposé laideur aurait, fondue ou pas, existé plus dans sa tête que dans les yeux / le coeur de Roxane.
Ceci dit Happy End il y aurait eu que Cyrano n’aurait sans doute pas rencontré le même écho, bien sûr.
(Y a un truc qui pègue sur mon clavier et qui fait un écho à l’aspect : comique et émouvant, tiens).
5 De luce -
Moi je commence à pleurer quand il parle des feuilles d’automne qui tombent et je ne m’arrête plus jusqu’à la fin
6 De Noé -
Coucou luce ! La déclenche, chez moi, se fait vraiment sur la lettre… Le texte est très beau, c’est là que ça bascule pour Roxane. Et cet adieu qu’il lui a écrit 14 ans plus tôt pour lui dire au moment de sa fin… Pfff. Snif, quoi !
7 De La cadette de Gascogne -
moi aussi (mais comment j’ai fait pour louper tous ces billets-là, bon sang ?)
8 De Noé -
Hey, la cadette, comment va ?
À mon grand regret, je n’ai pas eu la disponibilité pour reprendre cette série de billets à la reprise des répétitions. J’espère encore qu’il y aura une suite – avec réactions du public :-)