La répétition est à la base du métier de comédien. Parce que, tant qu’on hésite sur ce qu’on a à faire, tant qu’on doit se concentrer sur ce qui vient après, on n’est pas libre pour jouer. Du coup, jouer longtemps, c’est être sûr d’avoir le temps de prendre totalement ses marques, d’aller au bout d’une interprétation.
Plus encore que le nombre de représentations, au demeurant, je crois que le temps que l’on passe sur un spectacle est déterminant. Parce que le spectacle continue à vivre en nous entre les représentations. Lors d’un projet précédent, j’avais joué pas mal (36, si mes calculs sont bons), mais sur la durée ramassée d’un mois, sans respiration entre les représentations et, donc, avec peu d’évolution.
Le grand plaisir d’un rôle comme celui de Cyrano, ou Sganarelle, c’est qu’il y a toujours des choses à creuser dedans, des recoins à affiner. Je pense qu’on mettrait côte à côte des vidéos de la première et de la plus récente représentation, on verrait (à part les changements de distribution) que le rôle a vécu, changé – comme son interprète au demeurant. Ça permet de conserver du goût pour le rôle. On le remâche, jusqu’à s’en être (et l’avoir) nourri au bout de nos propres possibilités.
Mais au cœur de la question, il y a la routine, la lassitude, le fait de refaire, représentation après représentation, quel que soit l’état de forme physique ou mentale[1], sur un ou des rôles exigeants[2], la même chose, ça se passe comment ? Ne nous mentons pas : il arrive qu’on se sente peu disponible pour la représentation. Fatigue physique, difficultés personnelles nous atteignent, même si on est supposé les laisser au vestiaire[3]. Il arrive que, précisément, on se repose sur la routine. On attrape le train, on fait confiance à sa mémoire kinesthésique
, à son métier
et on envoie ce qu’on a !
Et puis il y a la salle. L’échange d’énergie entre les spectateurs et les acteurs est très important. Une salle qui réagit, accompagne l’histoire va nous communiquer l’énergie d’aller au bout des émotions. L’émotion. J’ai lâché le gros mot ! C’est bien ça qui est sans doute le plus compliqué, le moins contrôlable, la fabrique de l’émotion. Au début des répétitions de Cyrano, je n’arrivais pas à dire le texte de l’acte V, gagné par les larmes. Aujourd’hui, je joue avec cette émotion, quand elle m’attrape, je la retiens, je la diffuse – et j’adore ça.
Il ne faut pour autant pas se mentir, il m’arrive de sortir de scène et de n’être pas satisfait de la représentation, du public, de moi. De sentir la pesanteur de certains spectacles qui, au long cours, me semblent avoir perdu de la fraîcheur. Et puis je remise ça dans la boîte à souvenirs. La prochaine, elle, sera une réussite ! Vous y serez ?
1 De Sacrip'Anne -
J’ai trouvé ça très touchant, en tout cas, l’autre soir quand tu es rentré particulièrement content de ce qui s’était passé, en toi, sur scène, vers le public.
Pour quelqu’un qui, comme moi, souffre facilement de la routine professionnelle, ça ouvre des réflexions sur le “cent fois sur le métier”. :)
Bravo en tout cas pour ce billet éclairant. Rendez-vous pour une suite ? ;)
2 De Noé -
Une suite, avec plaisir, Sacrip’Anne, yapuka trouver les questions qui vont bien ;-)
3 De Otir -
La connotation négative qui semble enveloper le concept de “routine”, je crois, ne peut s’appliquer à l’art du comédien. Comme tu l’écris, c’est par la routine intégrée que peut se libérer le travail de l’émotion. C’est véritablement le contraire de la mécanisation, ou du travail “à la chaîne”. Le cadre est fixe, le texte est fixe, la gestuelle est calibrée et c’est dès lors que peuvent s’installer toutes ces surprises qui appartiennent au monde de l’interprétation.
En fait ce n’est jamais la même chose dans le toujours pareil !
Merci pour ce billet inspirant !
4 De Franck -
Dimanche dernier je t’avais posé des questions sur la salle, l’éclairage, la chaleur, ou encore sur les cours.
Tu veux bien nous raconter tout ça ?
5 De mirovinben -
Je trouve ce billet très intéressant et te soumets une question pour la suite : “Quelle différence y a-t-il entre un comédien et un acteur ?” Tu m’avais expliqué en direct live il y a un an mais j’ai oublié depuis (chaleur, grand âge, toussa)…
6 De Flo -
Et moi j’aimerai bien savoir comment tu fais (bon, ok c’est ton métier) pour ne pas laisser te déstabiliser par le public hyper proche : si quelqu’un tousse beaucoup, rit d’une manière peu gracieuse… bref comment rester concentré dans son role, avec des gens vivants et qui réagissent en face de soi.
moi qui stresse du jugements des autres quand je dois intervenir plus de 5min en réunion… une pièce complète, pfiouf ….
7 De Sacrip'Anne -
Flo pour les rires il est super entraîné :-p
ok je sors….
8 De mirovinben -
Oui mais non, Sacrip’Anne. Le rire c’est comme les chatouillis, Quand ça vient de soi-même ça ne fait pas grand chose. Par contre quand ça vient des autres alors, oui, extraordinaire d’efficacité…
Mais peut-être parlais-tu de l’effet de ton rire (sans parler du reste) et non du sien sur lui.
Je sors aussi…
9 De Noé -
Je suis très touché par ce déferlement de commentaires et d’intérêt !
Otir : il y a sûrement une morale là-derrière. De la contrainte naît la liberté. C’est parce qu’on a un cadre extrêmement délimité qu’on peut évoluer à l’intérieur sans crainte, et donc en explorer les infinies possibilités. Un truc dans ce goût-là :-D
Franck : heu, oui, alors là ça fait plusieurs questions, en fait. Je veux bien que tu précises…
mirovinben : je vais m’y mettre, le temps de vérifier ce que je crois savoir, histoire de pas dire trop d’âneries :-D
Flo : là encore, le fait de savoir ce qu’on a à faire permet de s’y raccrocher, même devant une salle d’ados ricanants (on en a eu, des groupes scolaires). En revanche les perturbations externes, quand elles s’opposent à ce qu’on raconte, gênent fortement l’émotion. On joue alors contre les gens, et ce n’est pas agréable. On apprend aussi, quand on démarre, à ne pas fixer les spectateurs, à garder son regard plutôt au-dessus de leur tête, par exemple. Il est vrai que dans un théâtre comme l’Espace Marais, on est
et qu’il est difficile de ne pas croiser des regards. Il y a des comédiens que ça gêne. J’avoue que j’aime assez, moi, pouvoir lire sur le visage des gens qui m’écoutent, s’ils sont :-)SacripAnne : hu hu !
mirovinben : il est à noter que, pour ma part, si je ris volontiers quand je vais au spectacle, j’évite le rire un peu fort qu’on me connaît. Je ne souhaite ni perturber les gens sur scène, ni détourner l’attention des spectateurs ;-)
10 De Lizly -
Un de mes grands souvenirs de théâtre, c’était une représentation de Cyrano, justement.
Grande scène, grosse salle, et ce soir là, beaucoup de groupes scolaires. J’en faisais partie mais c’était encore l’époque où j’étais élève.
A un moment donné, dans la corbeille, une lampe fixée sous le 1er balcon a commencé à faire tomber des étincelles sur le public. D’abord quelques unes. Les gens se sont un peu agité, on a entendu des “chuuuut” agacé venant du parterre. Sur scène, De Guiche arrivait sur le front et les cadets l’accueillaient l’air mauvais. Puis une pluie d’étincelle a commencé à cascader du balcon sur le public.
Mouvement dans la salle, les personnes assises de se côté de la corbeille sorte, beaucoup de gens se lèvent. Dans les balcons, on ne doit rien comprendre, on voit les gens se pencher. Moi, j’étais dans la corbeille mais au centre, loin des étincelles. Notre prof, sur le qui-vive, nous fait lever mais attendre devant nos sièges.
Beaucoup regardaient les étincelles mais moi je regardais la scène. Côté cours, De Guiche et ses hommes. Côté jardin, Cyrano et les cadets. Les étincelles tombant côté cours, c’est par la gascon que ça a commencé. En quelques instants, sur scène, les personnages ont disparu. Il n’y avait plus que des hommes (et un femme, d’ailleurs, qui jouait plusieurs rôles secondaires masculins et féminins) en costume, des armes factices à la main.
Le rideau a été tiré.
Un pompier est intervenu avec un extincteur pour “noyer” la lampe fautive. L’équipe du théâtre demande aux spectateurs de ne pas sortir, annonce que la pièce va reprendre, qu’il n’y a aucun problème de sécurité. Quelques personnes, tout de même, sont déplacées pour que les sièges plus plus proches de la lampe fautive restent vides.
Plus tard, j’ai su que dans les coulisses, le débat avait eu lieu : reprendre ou ne pas reprendre. Je ne sais pas qu’elles ont été les arguments. J’ai eu cette confidence d’une indiscrétion de costumière.
Finalement, le rideau s’ouvre sur le début de l’acte. Il y a un déjà-vu avec un “mais moins…” même si ce n’était pas évident de dire moins quoi. Je ne sais pas comment c’est pour les acteurs. Ils avaient déjà donné beaucoup, la pièce est longue. Mais il resté encore beaucoup à donner ! Et il fallait bien que Cyrano meurt puisque le public était là.
On avait applaudit, bien entendu, au retour sur scène. Mais dans cette reprise laborieuse, je ne sais pas qui a commencé, mais des applaudissements ont crépité ici et là jusqu’à ce que ça gagne toute la salle. Les acteurs continuaient de jouer et un autre souffle est venu. De Guiche a eu l’accent gascon, Christian a été blessé, Roxane a pris le deuil, Cyrano a levé son épée avec panache.
C’est un de mes meilleurs et de mes pires souvenirs de théâtre.
Un des meilleurs, notamment, pour ce moment où nos applaudissements ressemblaient à un claque amicale dans le dos, un mot d’encouragement, de chacun dans la salle à chaque acteur et actrice.
11 De Noé -
C’est un très joli récit, Lizly, et je suis touché que tu le partages ici !
Dans le théâtre où je joue actuellement (mais lors d’un spectacle auquel je ne participe pas), on a eu un jour une représentation interrompue par… de l’eau s’écoulant sur le plateau – de la machine à laver de la voisine du dessus apprîmes-nous par la suite !
Ce jour-là, les comédiens, inquiets des conséquence de l’inondation sur l’installation électrique ont refusé de reprendre la représentation…
12 De Lizly -
Au fait, dans les questions, j’aimerais bien que tu nous racontes le rôle que tu as préféré jouer et pourquoi et celui que tu as le moins aimé jouer et pourquoi. Et s’il y a un rôle que tu rêves d’interpréter.
(Sinon, pour les étincelles, on avait un pompier sur place qui on dit qu’il n’y avait pas de soucis de sécurité sinon je suppose que dans le doute, on aurait été renvoyés dans nos pénates. Mais c’est un gros théâtre, il y a toujours au moins un pompier. D’ailleurs, quand je serai grande, je veux faire pompier de théâtre parce qu’on assiste à plein de représentations)
13 De Noé -
Je note la question Lizly, je ne suis pas sûr d’avoir une réponse tranchée, au demeurant…