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Rideau rouge de théâtre pas Rob Laughter sur Unsplash.com

Je tente d’ouvrir ici une série de billets sur mon métier, m’appuyant sur des questions qu’on me pose, à l’occasion (d’ailleurs, n’hésitez pas à profiter des commentaires pour l’alimenter). Aujourd’hui, donc, une accorte jeune femme me demandait impromptu, alors que je faisais le compte des Cyrano – nous approchons la 200e – comment ça se passait, au fil des représentations, comment la routine se gère au long cours. C’est une sacrée bonne question, à laquelle je vais m’efforcer de répondre – inutile de préciser que ce que je peux dire ici n’engage que moi et mon rapport à ce drôle de métier…

La répétition est à la base du métier de comédien. Parce que, tant qu’on hésite sur ce qu’on a à faire, tant qu’on doit se concentrer sur ce qui vient après, on n’est pas libre pour jouer. Du coup, jouer longtemps, c’est être sûr d’avoir le temps de prendre totalement ses marques, d’aller au bout d’une interprétation.

Plus encore que le nombre de représentations, au demeurant, je crois que le temps que l’on passe sur un spectacle est déterminant. Parce que le spectacle continue à vivre en nous entre les représentations. Lors d’un projet précédent, j’avais joué pas mal (36, si mes calculs sont bons), mais sur la durée ramassée d’un mois, sans respiration entre les représentations et, donc, avec peu d’évolution.

Le grand plaisir d’un rôle comme celui de Cyrano, ou Sganarelle, c’est qu’il y a toujours des choses à creuser dedans, des recoins à affiner. Je pense qu’on mettrait côte à côte des vidéos de la première et de la plus récente représentation, on verrait (à part les changements de distribution) que le rôle a vécu, changé – comme son interprète au demeurant. Ça permet de conserver du goût pour le rôle. On le remâche, jusqu’à s’en être (et l’avoir) nourri au bout de nos propres possibilités.

Mais au cœur de la question, il y a la routine, la lassitude, le fait de refaire, représentation après représentation, quel que soit l’état de forme physique ou mentale[1], sur un ou des rôles exigeants[2], la même chose, ça se passe comment ? Ne nous mentons pas : il arrive qu’on se sente peu disponible pour la représentation. Fatigue physique, difficultés personnelles nous atteignent, même si on est supposé les laisser au vestiaire[3]. Il arrive que, précisément, on se repose sur la routine. On attrape le train, on fait confiance à sa mémoire kinesthésique, à son métier et on envoie ce qu’on a !

Et puis il y a la salle. L’échange d’énergie entre les spectateurs et les acteurs est très important. Une salle qui réagit, accompagne l’histoire va nous communiquer l’énergie d’aller au bout des émotions. L’émotion. J’ai lâché le gros mot ! C’est bien ça qui est sans doute le plus compliqué, le moins contrôlable, la fabrique de l’émotion. Au début des répétitions de Cyrano, je n’arrivais pas à dire le texte de l’acte V, gagné par les larmes. Aujourd’hui, je joue avec cette émotion, quand elle m’attrape, je la retiens, je la diffuse – et j’adore ça.

Il ne faut pour autant pas se mentir, il m’arrive de sortir de scène et de n’être pas satisfait de la représentation, du public, de moi. De sentir la pesanteur de certains spectacles qui, au long cours, me semblent avoir perdu de la fraîcheur. Et puis je remise ça dans la boîte à souvenirs. La prochaine, elle, sera une réussite ! Vous y serez ?

Notes

[1] j’ai été dans l’obligation d’annuler une représentation pour raisons de santé cette saison, je l’ai pas bien vécu…

[2] j’ai un metteur en scène qui aime bien que les gens bougent sur scène

[3] il m’est arrivé de jouer en ayant mal, par exemple, je ne recommande à personne

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