Qu’est-ce qu’on fait d’un personnage pareil ? Quand on atteint un tel niveau de démesure, on s’en débrouille comment ?
Car enfin, j’ai plutôt l’entraînement pour le personnage à hauteur d’homme. Je vais alors chercher sur quels traits de caractère je me reconnais pour jouer avec, et prêter ce que j’ai en magasin pour donner de la chair à la créature de papier.
Mais Cyrano ! Ce serait pas un poil dangereux de trop s’identifier ? Quand on a déjà les pieds qui ont tendance à déconnecter du sol, ce serait-y pas jouer avec le feu ? Déjà, à tripoter ces vers, à placer les premières scènes, j’ai l’impression grisante[1] que je me tiens un peu plus droit dans la rue, que mon regard s’affirme davantage…
Ce serait pas un métier de fou, un peu ? Tant que je me pose des questions, remarque, ça ne doit pas être trop grave. Tant que je ne mets pas à réciter des vers aux terrasses de café jusqu’à des heures indues, ça devrait aller, non ? Trop tard[2] ? Ciel !
1 De Anne -
Alors. Pour commencer par les choses sérieuses, je trouve ça tout à fait intéressant, cette sorte de perméabilité entre le personnage et celui qui l’incarne (dit la fille qui a un peu l’impression d’avoir été élevée par ses parents, mais aussi par un certain nombre de personnages totalement fictifs).
Et je trouverai ça assez beau, finalement, que le fait de devoir faire vivre un personnage à travers soi donne à celui ou celle qui l’incarne des choses en plus pour sa vie sur terre (même si un peu au dessus du niveau du sol).
Sinon, tant que tu ne déclames pas en arpentant la rue sans interlocuteur, à mon avis, y a pas de vrai motif à s’inquiéter. Et puis ça doit être chouette, d’avoir quelqu’un qui vous récite des vers, comme ça, un soir d’été, en terrasse. Le public devait être un peu charmé.
Limite : a-t-on vraiment vécu avant d’avoir vécu pareil moment ?!! :D
2 De Gilsoub -
remarque, tant qu’ à réciter des vers aux terrasses des cafées, faits le les yeux dans les yeux avec une jolie Roxanne, juste pour voir si l’histoire est réaliste ou pas… Et pis bon, mieux vaut se confondre avec le personnage dans la vie quand il s’agit de Cyrano ou dom Juan… parce que le docteur Petit ou Jack l’éventreur, tout de suite…
3 De Noé -
Anne > il y a aussi, non décrit ici, mais j’aurais peut-être l’occasion d’y revenir, le poids du monument qui vous tombe sur les épaules. Ce texte est quand même pas mal invraisemblable, et on n’est jamais en panne de superlatifs pour en parler.
Et il y a une vraie inquiétude, en me laissant gagner par la fierté du Gascon, de devenir imbuvable. Mais bon, je me rassure en me disant qu’il y a aussi dans tout ça une belle part de fantasme !
Gilsoub > utiliser les (superbes) mots d’un autre à de viles fins séductives, ce serait mal me connaître ! :-p Heu, Dom Juan, franchement, est un personnage peu sympathique et pas très heureux de vivre, j’aimerais autant pas. Quant aux tueurs en série, oui, c’est sûr, si on commence à zigouiller les passants pour se sentir dans le rôle, c’est aussi qu’on a un problème avec le concept de fiction – ce qui n’est pas encore entièrement mon cas ;-)
4 De Aggelos -
Il y a des rôles, comme ça, dans lesquelles j’ai peur de me projeter, de peur d’être dissout dans quelque chose de plus grand, de plus démesuré.
L’abandon est nécessaire pour l’énergie, mais revenir en arrière…
C’est ce que j’ai trouvé formidable et detestable dans le film “Black Swan”, avec Nathalie Portman. Il retranscrit bien, je trouve, ce vertige.
Finalement, ma solution serait un rituel de fin de jeu pour me rappeler que je suis médiocre. Comme un exorcisme. Un petit élan de médiocrité juste quand on quitte la scène.
Perso, je bois une bière. Mais je joue beaucoup moins que toi :)
@Anne : il y a un peu un danger dans la perméabilité. Une fois sorti de son contexte, on n’a plus les attraits et les avantages d’un personnage. Il n’est pas non plus adapté au monde réel.
Certains acteurs vivent très mal de quitter un personnage trop envoutant, dernier exemple en date, Heth Ledger
5 De Anne -
J’me doute bien, va, qu’il y a le poids et tout. Mais va savoir, je n’ai pas la sensation que c’est vers son côté imbuvable que tu vas te diriger. Et puis on veillera, tiens ! ^^
Aggelos, oui, j’ai une petite idée de la chose, ayant partagé dix ans de vie avec un musicien qui avait un peu de mal à dissocier son personnage de scène avec qui il est pour de vrai. Bien tenté de lui faire comprendre que ce qui était bien, c’est de savoir que l’artiste peut se mettre au service de ça mais que ça n’en fait pas un demi dieu, et que l’homme, dans sa réalité, était beaucoup plus aimable qu’un personnage aussi magnifique soit-il, il semblerait que ça ait échoué.
6 De Noé -
Aggelos > Ah oui, je vais éviter de boire une bière chaque fois que je sors de scène, surtout quand j’ai une autre représentation derrière… En sortie de jeu, personnellement, je préfère, à l’usage, prendre le temps de la descente, en douceur. Me rappeler trop durement à un principe de réalité pourrait me faire mal – et sentir la réalité vous revenir à petites bouffées n’est pas désagréable ^_^
Il y a aussi une spécificité « rassurante » dans ma situation : jouant des choses assez différentes, j’ai moins la latitude d’être totalement happé dans une seule. Mais sur le temps des répétitions, je suis davantage plongé dans un univers, c’est là que gît le plus grand danger #tintintin
Anne > Bon, je compte donc sur toi pour me taper sur la tête quand je perdrai pied ^^ !
7 De Anne -
Qu’on m’apporte un escabeau !!! :D