Je connais bien le régime des intemittents du spectacle
puisque ça représente une part non négligeable de ce qui fournit mon pain quotidien. Le principe du truc[1] est de considérer que, dans les professions du spectacle, on ne fait pas un travail de bureau. De fait, on est toujours engagé sur des projets artistiques, qui n’ont pas vocation à durer jusqu’à ce que mort retraite s’ensuive. Un tournage de film durera rarement plus de sept semaines, l’exploitation d’un spectacle quelques mois d’exploitation en continu (avec éventuellement tournée et dates ponctuelles ensuite), parfois plusieurs années sur des exploitations très spécifiques[2]… Bref, dans le merveilleux monde du spectacle, on passe plein de temps à chercher du travail, et moins de temps à être au travail.
Plutôt qu’une analyse des enjeux politico-économiques de la bagarre des chiffres, que d’autres font beaucoup mieux que moi, on me suggère de partager un bout de mon vécu.
Vous le savez si vous suivez mon actu, ces quelques dernières années je joue beaucoup. Toutes les semaines, plusieurs fois par semaine (jusqu’à trois par jour aux périodes de pointe). Avec cette masse de travail, on est fondé à se dire que je n’ai pas besoin du soutien de l’assurance chômage. Je bosse[3], tout de même.
Oui, mais.
Je travaille pour une petite structure à l’économie précaire qui, du coup, ne peut pas me payer un salaire de joueur de foot – même de deuxième division. En réalité pour faire un cachet
, déclarer une journée de travail qui sera déterminante dans le calcul de mon indemnité, je dois jouer plusieurs fois. La structure ne tient, précisément, qu’en ne payant pas à la valeur du marché
mon travail, et en me permettant de déclarer suffisamment d’heures pour rentrer dans le saint des saints de l’indemnisation chômage.
Le petites compagnies, qui ne paient pas les répétitions, paient les représentations à la recette
et déclarent quelques cachets de ci de là sont légion. Elles sont le terreau de l’activité culturelle que je connais depuis mon enfance[4].
Donc, oui, je joue près de deux cents fois dans l’année ET j’ai besoin de l’assurance chômage pour m’assurer un revenu décent. Et je ne suis pas à plaindre. En revanche, la chanson du patronat sur l’anomalie du régime et le déficit de l’assurance chômage qu’il induit me met hors de moi. Depuis 1993, une proposition structurée de maintien pérenne de l’indemnisation des professions du spectacle est poussée par le seul syndicat qui a une branche spectacle forte[5] et ignorée par le patronat qui a signé, avec les autres centrales syndicales les accords moisis de 2003 – qui ont provoqué entre autres l’annulation du festival d’Avignon cette année-là – et remis le couvert cette année. Cette année, et on ne l’entend pas assez, les intérimaires sont aussi entrés dans la machine à broyer les droits.
Cet après-midi, je serai à la manifestation, pour défendre mes droits et ceux de tout le monde, car ne nous y trompons pas : le Medef attaque d’abord les intermittents, peu nombreux, maintenant les intérimaires, isolés, mais dans son collimateur, c’est les droits de tous les chômeurs qu’il souhaite réduire à peau de chagrin.
Quant au code du travail…
Mais en France, heureusement, tout finit par des chansons !
Notes
[1] Je vais sans doute énumérer un certain nombre de banalités, pour ceux qui connaissent le sujet, mais je ne peux pas parier sur la finesse d’information disponible dans les grands médias pour partir du principe que tout le monde sait de quoi on parle.
[2] Un peu comme mon activité actuelle
[3] Même si certains esprits chagrins ne considèrent pas ça comme du vrai travail, mon état d’hébétude après quatre représentations dont trois en premier rôle sur le week end tend à me maintenir dans l‘idée que, oui, je travaille !
[4] Pour ceux qui me connaissent peu rappelons que mes deux parents sont comédiens.
[5] La CGT, pour ne pas la nommer.